“I AM BURIED HERE.YOU CAN RESURRECT ME BUT ONLY PIECEMEAL. IF YOU WANT TO SEE THE WHOLE YOU WILL HAVE TO SEW ME TOGETHER YOURSELF.”
Shelley Jackson, Patchwork Girl (1995)
Le cinéma guérilla priorise l’efficacité sur l’esthétique, la consistance ou la légalité. Pour une forme d’art qui est régie par des besoins financiers, matériels, ou numériques, c’est très rassurant de savoir qu’il existe un précédent de réalisateur.ices fauché.es ou presque, agissant sur l’idée que les plus mauvais films sont ceux qui n’ont pas réussi à exister. Prendre ce qu’on a sous la main et fabriquer, sans permis ou exigence.
Les résultats sont imprégnés de cette énergie : les films 0 budgets puent le seum, ils sont en colère, militants, ils sont moches et ils puent de la gueule, puisqu'on ne nous donnera pas les subventions on va faire comme on peut, et avec ce qu’on a et surtout comme on veut. En en regardant beaucoup cette excitation devient contagieuse. Je sais que je vais aimer un film quand il n’a aucune continuité entre les plans, quand il a l’air d’avoir été filmé au travers d’un sac de pisse, quand tout le monde est en sueur. L’audio peak, les acteur.ices jouent mal, ils regardent la caméra, la caméra fait mal aux yeux. Elle gigote beaucoup trop, elle filme des ruelles, des intérieurs, des ruines, là où on ne l'embêtera pas, là où on la laisse exister. Beaucoup de ces films finissent par témoigner indirectement de ces endroits en friche. L’école fraîchement abandonnée dans YOUJO MELON (1987), les zones résidentielles repeintes de faux sang pour THE BURNING MOON (1992), les stations service et quais de Seine dans BAISE MOI (2000) ou alors les hangars vides de TEENAGE HOOKER BECAME KILLING MACHINE (2000).
Il y a de toute façon un avantage stratégique à se lancer corps et âme dans des micros productions un peu barrées. Les films trashy, si préservés, sont voués à devenir des morceaux d’archives, leurs aspérités rendues attrayantes avec le temps. Par exemple, malgré la profondeur de champ médiocre du Portapak retranscrit particulièrement bien les espaces domestiques, des tables de salle à manger et des plans de travail. L’entrelacement et le bloom de la mini DV ne font que souligner des scènes un peu moche de rue ou de balades au zoo. L’Iphone restreint le format de l’image mais met aussi tout sur le même plan, traitant les couleurs de manière digérable et parfois complètement à côté de la plaque. L’intérêt n’est pas de chercher à prévoir l'attrait visuel des médiums naissants, mais plutôt de comprendre leurs enjeux. La mobilité, l’abordabilité, la possibilité de filmer beaucoup, sur le tas, de transmettre facilement.
Ou alors l’enjeu de la conservation, l’idée de préserver au mieux, à la fois le support mais aussi le sujet.
Tu as une bouche de cendre et tes bras te tombent lourdement sur les côtés. Tes yeux fatigués caressent lentement le rebord de la fenêtre. Des planches en bois clouées contre la fenêtre t'empêchent de voir plus loin que la vitre. Tout de même tu distingues, sur les extrémités, à travers tes cheveux, une teinte claire et poreuse. Tu soulèves ton bras, le laissant lentement passer au-dessus des obstacles. Des objets coupants et des papiers froissés. Puisque tu ne le lèves pas si haut que ça il emporte, dans son geste très lent, une paire de clefs et une tasse sale. Elles teintent et puis tombent, roulant sur le bord de ton bureau pour achever leurs chutes à tes pieds, sans casser. Tes pieds ont froids, plus que ce que tu ne pensais. Tout de même ton corps est en marche, et ton bras atteint enfin le clavier. Tu sens la zone sous ta clavicule bourdonner, réchauffer légèrement, c’est assez désagréable. Sans quitter tes pieds du regard tu rentres la clé, faisant sonner les touches unes par unes. La lumière bleue caresse ton visage et tu lèves les yeux. La dernière fois, ça n'était pas aussi facile. La dernière fois tu avais appuyé, et secoué, et martelé, sans que ça ne réveille la lumière. Tu n’avais pas réessayé depuis, et ils ont eu le temps de mettre les planches sur les vitres, de glisser le papier par la porte, de couper l’eau, le chauffage. Il ne reste plus que cette lumière bleue, et ce que tu vas pouvoir en faire. Avec tes doigts, et ce qu’il te reste de ta mémoire tu devrais pouvoir en faire quelque chose. Changer sa chaleur, la forme, la faire miroiter, la nourrir. Tordre, et étendre les formes à l’intérieur. Leur donner une forme, une intention. Tu l'alimentes, maintenant tu te souviens comment mouvoir tes doigts pour qu’elle fasse ce que tu veux. La chaleur qui grandit sous ton omoplate, une sensation pas très agréable. Tu sais lui donner une peau, un poids, une voix, la connecter à d’autres, la faire bouger. La pluie bat contre les planches en bois de ta fenêtre, éclaboussant légèrement la moquette. Tu ne peux rien y faire de toute façon. Tu laisse le tintement des gouttes d’eau accompagner celui du clavier.
>HELP ME I'M LOST